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La discipline économique et le mirage de la ‘vraie science’

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La discipline économique et le mirage de la ‘vraie science’ Le mirage de la « vraie science », dont la puissance fantasmatique est immense chez les économistes, met sur la voie d’une autre catégorie canguilhemienne, qui permet peut-être de donner sa qualification la plus précise à la situation épistémologique de l’économie : il s’agit de la catégorie « d’idéologie scientifique » … La catégorie d’idéologie scientifique est d’abord purement interne au registre de l’histoire et de la philosophie des sciences, et désigne «l’ambition explicite d’être science à l’imitation de quelque modèle de science déjà constituée (…) L’idéologie scientifique (…) est une croyance qui louche du côté d’une science déjà instituée, dont elle reconnaît le prestige et dont elle

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La discipline économique et le mirage de la ‘vraie science’Le mirage de la « vraie science », dont la puissance fantasmatique est immense chez les économistes, met sur la voie d’une autre catégorie canguilhemienne, qui permet peut-être de donner sa qualification la plus précise à la situation épistémologique de l’économie : il s’agit de la catégorie « d’idéologie scientifique » … La catégorie d’idéologie scientifique est d’abord purement interne au registre de l’histoire et de la philosophie des sciences, et désigne «l’ambition explicite d’être science à l’imitation de quelque modèle de science déjà constituée (…) L’idéologie scientifique (…) est une croyance qui louche du côté d’une science déjà instituée, dont elle reconnaît le prestige et dont elle cherche à imiter le style.»

Cette formidable intuition conceptuelle est d’ailleurs presque en dessous de la vérité s’agissant des économistes standard, dont bon nombre ne se contentent pas de se croire des physiciens de l’économie, mais croient bien sincèrement y voir plus droit que la science sur laquelle ils louchent – après tout, la théorie économique n’est-elle pas parfaitement unifiée et ne saisit-elle pas dans son modèle unique aussi bien les marchés de produits dérivés de Chicago, les comportements productifs des agriculteurs subsahariens ou bien l’économie des comportements criminels et addictifs, là où la physique, la pauvrette, peine encore à unifier mécanique quantique et relativité générale.

Au-delà même de ce que Georges Canguilhem avait imaginé, l’économie ne fait donc pas que bigler : elle y ajoute le délire. Or, sans vouloir trop jouer de la paronymie, c’est dans le désir, ou dans un certain désordre du désir, qu’il faut chercher l’origine du délire — en l’occurrence dans le désir caractéristique d’une idéologie scientifique : le désir de faire science. On comprend dans le cas de l’économie qu’il ait mal tourné — en fait à proportion de ce qu’il a été excité. Car l’économie a été soumise comme aucune autre science sociale au démon de la tentation galiléenne : n’est-elle pas par excellence science social du quantitatif et science des rapports sociaux nombrés ? C’est du fait d’être fondamentalement monétaire que l’économie tient d’avoir un substrat immédiatement quantifiable. Aussi s’est-elle laissé aller à croire que la quantité épuisait l’être économique pour en conclure plus vite que son domaine de faits était légalisable en principe, c’est-à-dire que les nombres de l’économie pouvaient être saisis dans la structure universelle de leurs rapports fonctionnels — alias les « lois de l’économie » : s’il y a du quantifiable, il y a du mathématisable, et s’il y a du mathématisable, il y a du légalisable, tel a été le fantasme galiléen de la science économique.

Frédéric Lordon

Lars Pålsson Syll
Professor at Malmö University. Primary research interest - the philosophy, history and methodology of economics.

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